on en parle
Les actions des Gammares se déclinent en nombreux rituels collectifs et outils de narration partagée à l’échelle du bassin-versant des Aygalades : une gazette et un cahier pédagogique viennent raconter le projet, restituer le travail d’enquête et le mettre en récit ; une fête du ruisseau scande les saisons du ruisseau ; le premier dimanche de chaque mois, une conférence sauvage est donnée à la rivière afin de prêter l’oreille à ses vivants et démultiplier les modes d’interaction avec elle. Ce collectif prend une dimension d’université populaire et d’instance de partage des connaissances de chacun dans un tissu d’imaginaires territoriaux qui revisitent les notions de voisinage et d’interdépendance. De la révélation d’un ruisseau – désormais acquise – les Gammares étendent leurs récits à l’appréhension des enjeux systémiques d’un bassin-versant. Le collectif a formulé un nouveau défi à l’heure où les acteurs de la gestion des eaux rejoignent la dynamique : comment fabriquer un autre rapport à un plan de gestion ? Comment la renaturation va se faire en conservant l’implication citoyenne ?
[Une initiative rédigée par Arnaud Idelon]
Le collectif des Gammares – du nom d’une crevette d’eau douce bio-indicatrice de l’état écologique des fleuves et ruisseaux – est une initiative issue de la société civile autour du ruisseau oublié des Aygalades (appelé aussi Caravelle). Ses actions : “décaler les représentations du ruisseau en agissant sur les imaginaires”, connaître le ruisseau par la collecte et le partage des connaissances, “se relier autour d’actions communes” et améliorer son état écologique. Au commencement, la redécouverte d’un ruisseau dans les quartiers nord de Marseille et sa révélation par des habitants, artistes, guides et conservateurs du patrimoine. Celle-ci devient prétexte, par un travail d’explorations, d’enquêtes et d’archives, à sa réappropriation (en retournant la notion de patrimoine) et à la recherche de récits alternatifs. En 2013, la coopérative Hôtel Du Nord met en scène cette démarche de valorisation d’un territoire par ses habitants, bientôt suivi (en 2016) d’un chantier d’insertion porté par l’APCAR (Association pour la Cité des Arts de la Rue) destiné à la restauration d’une cascade. Puis le projet urbain, et notamment Euroméditerranée, se penche sur ce ruisseau “révélé” et l’inscrivent dans un “contrat de baie” Face à cet intérêt, le collectif se saisit plus frontalement de la nécessité de se fédérer et de s’organiser (avec la création du collectif des Gammares en 2019), afin que cohabitent enjeux écologiques et enjeux sociaux dans des récits ouvrant des alliances nouvelles entre humains et non humains à l’échelle du bassin versant du ruisseau. Autour de ce patrimoine naturel commun malmené socialement et écologiquement émerge une communauté cherchant à renforcer ses moyens d’agir.
Initié par des habitants, des artistes, notamment le Bureau des Guides, le collectif déploie à l’échelle d’un bassin versant les potentialités d’un récit et sa puissance performative . Travaillant l’imaginaire comme matière première, les Gammares misent sur des rites collectifs, comme la « remontée du ruisseau », geste inaugural du cours d’eau en 2019, de l’embouchure à sa source, embarquant chercheurs scientifiques mandatés par Euroméditerranée, habitants et artistes dans une itinérance de deux jours, féconde en dialogue comme en décloisonnement des pratiques et expertises. Expérience située, cette aventure collective alternant entre enquête et moments conviviaux, adopte les principes de la marche exploratoire, tissant entre différentes postures, compétences et regards, mettant au jour les grilles de lecture, systèmes de pouvoir et réflexes pour brouiller les pistes entre histoires urbaines, sociales, scientifiques, patrimoniales ou sensibles. Levier méthodologique, cette traversée du ruisseau devient aussi un outil mythologique, un signal d’appartenance à un territoire en commun.