on en parle
L’Hôtel Pasteur est la démonstration qu’il est possible de mettre en place un projet expérimental de réhabilitation sans programme défini au préalable. L’architecte Sophie Ricard, présente au quotidien et sur le temps long de la permanence architecturale, a élaboré une étude de faisabilité « en actes » en s’appuyant sur les acteurs locaux. Par l’usage temporaire des lieux vacants, la transformation du bâtiment s’adapte pour répondre à terme aux besoins exprimés par les usagers et les associations locales. L’appropriation quotidienne des espaces crée une énergie commune et montre que ce type de lieu « permissif » au cœur de la ville augmente le pouvoir d’agir de chacun et permet de construire du commun. Le volet social, qui vise l’accueil et l’insertion des personnes précaires, a une place essentielle aux côtés des volets culturel et artistique. Les initiatives locales mises en œuvre dynamisent un projet urbain ascendant de capacitation citoyenne. Une logique frugale traverse le projet, notamment dans les travaux de réhabilitation du bâti, en visant moins de normes, moins d’isolation ou de chauffage, en faisant le choix d’aménagements simples et peu coûteux, en favorisant le réemploi.
Une initiative rédigée en collaboration avec Léna Ollivier, étudiante du Master 2 Projets Culturels dans l’Espace Public (Université Paris 1-Panthéon Sorbonne), mise à jour par Hermine de Saint-Albin, Diplôme Universitaire Espaces communs (Université Paris Est-Marne-la-Vallée).
Situé en plein cœur de Rennes, l’Hôtel Pasteur accueille différentes pratiques, expérimentations et disciplines qui contribuent à définir en temps réel un programme architectural incrémental et des modalités de fonctionnement à travers une charte agrémentée au fil de l’existence du lieu.
La Ville de Rennes confie en 2013 l’ancienne faculté dentaire vacante à l’architecte Patrick Bouchain, qui installe une permanence architecturale avec Sophie Ricard. Celle-ci mobilise un large réseau local grâce à des rencontres publiques thématiques (mobilité, alimentation, soin, éducation, politique). Activé par la suite en qualité d’Université Foraine, l’Hôtel Pasteur ouvre ses espaces pour une durée temporaire (allant de trois heures à trois mois) à des activités et usages individuels, afin de faire émerger un projet commun par la participation et l’appropriation et de rassembler des savoirs académiques et des savoir-faire. Qualifié en 2016 d’Hôtel à Projets, Pasteur devient le lieu des possibles, hébergeant divers projets du champs social, éducatif, culturel, artistique ou économique, et occasionnant des rencontres fortuites entre des publics qui ne se croiseraient pas autrement. Le lieu fonctionne sur la base d’un partenariat public (piloté par la SPLA Territoires Publics, maître d’ouvrage de l’opération de réhabilitation), privé (un conseil collégial de l’association l’Hôtel Pasteur assure la maîtrise d’usage et la gestion du bâtiment) et particulier (les occupants). Il valorise le principe d’une économie contributive. Le chantier de transformation du bâti se conclut en septembre 2020 avec l’ouverture au rez-de-chaussée d’une école maternelle (Encore Heureux Architectes), d’un équipement municipal d’expérimentation et d’apprentissage dédié à la fabrication numérique (Édulab) et la continuité de l’Hôtel à projets dans les étages.
Tête pensante du projet et actrice au quotidien, l’architecte Sophie Ricard est attachée aux valeurs défendues par Patrick Bouchain à travers l’Université foraine ou la permanence architecturale. Elle s’engage dans une architecture où les usages, les besoins et les savoir-faire de chacun participent à la construction du projet. Au-delà du cadre attendu du rôle d’architecte, Sophie Ricard s’est impliquée au jour le jour sur le terrain pour construire un projet par l’énergie commune rendue possible via la capacité d’agir de chaque individu. Elle passe le relai à Gwenola Drillet en septembre 2019.
L’objet sociétal de l’Hôtel Pasteur est d’exercer un « droit à l’expérimentation permanente ». L’Hôtel se conçoit comme un lieu de processus et d’apprentissage, propice à l’émancipation individuelle dans un cadre collectif. Le chantier de rénovation constitue l’espace dédié à la transmission des savoir-faire. Dans l’esprit de Patrick Bouchain qui prônait le 1% pédagogique dans les projets publics de construction, l’Hôtel Pasteur, pendant les deux années du chantier, devient un outil d’insertion, notamment pour les acteurs qui ne trouvent pas aisément leur place dans les cadres ou espaces habituels. Ainsi, des Expérimentations Territoriales d’Apprentissage sont menées avec les Compagnons bâtisseurs en direction de publics précaires. La construction de la cuisine collective adopte la forme d’un chantier de préqualification, conduit avec le Greta et l’Afpa. Enfin, les EcoNautes trouvent à Pasteur un terrain d’application pour étudier le réemploi de déchets issus de la déconstruction.
En 2020, les chantiers ouverts se succèdent et génèrent de nouvelles interactions et partages d’expériences émanant du territoire. La réhabilitation du bâtiment se poursuit dans sa dimension pédagogique, permettant de préfigurer les liens avec l’Édulab, lieu d’expérimentation et d’apprentissage dédié à la fabrication numérique, et l’école maternelle. Une classe témoin permet notamment la venue mensuelle d’enfants au sein du chantier.
En prévision de l’ouverture, des sujets émergent et rassemblent les forces vives de Pasteur autour de trois thématiques.
L’atelier Manger et boire à Pasteur demain produit des scénarios d’aménagement de l’espace, l’écriture d’un guide d’usage de la cuisine et permet l’échange de recettes. L’atelier Réemployer, déménager et transformer rénove le mobilier récupéré à l’Université, organise la perspective du déménagement de l’école et favorise la découverte d’itinéraires pour accéder au site. Enfin, l’atelier On y agit – pour quoi faire ? ausculte la valeur travail et les dynamiques de réciprocité et de mise en commun des apprentissages.
Ces ateliers de fabrique du commun s’inventent et mêlent les espaces physiques (mutualisés et réversibles), les espaces réflexifs (permettant l’émergence de projets de recherche-action) et les espaces contributifs (impliquant une communauté qui se renouvelle dans la transformation et la vie du lieu).